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29 avril 2005

C — Souvenirs

  Quand on passe la barrière de M***, brusquement le paysage devient plus montagneux. Ou plutôt on réalise soudain que le pays est maintenant montagneux. On n'avait pas fait attention aux accidents du relief, aux lointaines collines qui se profilaient à l'horizon, doucement approchantes. L'horizon maintenant se ferme, brusquement il vient vers vous, de grasses collines sombres vous regardent et les nuages gris et immobiles sont comme leur reflet, au dessus d'elles... Ce n'est plus la plaine, mais c'est encore le même pays, à cause des nuages, du ciel et de la pluie. Peut-être maintenant la pluie sera-t-elle plus obstinée, on le pressent dès la première approche, et on pressent aussi que les habitants de ce pays ne veulent pas s' habituer à cette inimitié, que c'est leur fierté, leur courage.
  L'envie vient de se raccrocher à des souvenirs de mer, à des souvenirs de soleil radieux, de chaudes après-midi. Mais on sait que tout ceci est bien loin, que depuis longtemps déjà on a déjà franchi un seuil en quelque sorte irréversible.
  Au delà de la barrière de M***, les habitants sont plus rêveurs, plus hospitaliers, quoique l'altitude relative ajoute les rigueurs d'un froid persistant à ceux de la monotone insistance de la pluie. On surprend des sourires, des visages ouverts malgré leur gravité. La même gravité un peu morne que celle que vous avez vue sur les visages des habitants de la plaine, mais ici éclairée de l'intérieur par une sorte de rêverie commune et palpable.
  Sous une pluie battante, le petit hôtel de M*** vous accueille, en face de la gare, avec votre valise un peu trop voyante. Vous savez que maintenant vos journées seront bien longues, que vos tentatives de sortir, de vous distraire, seront vouées à l'échec. Mais vous savez aussi que c'est cela que vous êtes venu chercher ici.

  Quelques années plus tard, je suis passé en trombe, dans un train express, par la ville de M***. Je n'ai pas vu ce curieux jeu des collines qui s'approchent de vous en catimini et brusquement vous cernent. Le temps que je réalise où j'étais, les collines étaient déjà loin, à l'horizon...

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