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5 octobre 2005

F

Non, je ne pardonnerai jamais à personne. Et vous n'avez pas fini d'entendre mes exigences. Moi la vie ne m'a jamais rien apporté. Et on m'a toujours demandé beaucoup. Beaucoup de choses que je ne pouvais pas donner :

Parce que j'étais trop jeune. Une enfant, en fait. Une enfant livrée à elle-même, entre deux parents qui ne s'entendaient pas. Elle, ma mère, qui rêvait que je fasse une grande carrière dans le sport, le piano, les études ou dieu sait quoi, et qui ne se levait pas le dimanche matin, restait affalée sur son lit, dans sa chambre aux volets fermés, au milieu des volutes de cigarette brune. Mon père dormait dans le salon, il ne fallait pas le réveiller, j'allais me préparer à déjeuner en catimini, terrorisée, angoissée par le travail à faire, les exigences qui allaient tomber dans l'après midi, travailler, faire du sport, non, tu n'as pas le temps d'aller voir tes copines, d'ailleurs elles sont connes. Lui, mon père, uniquement préoccupé de ses combines foireuses, de ses copains, ses rendez-vous, me considérant ostensiblement comme un poids, une entrave, presque une ennemie.

On m'a demandé beaucoup, on ne m'a rien donné. J'essayais de passer inaperçue, tout le monde me trouvait bizarre, renfermée, tu parles !

Un jour j'ai remarqué que malgré tout on me regardait. On me regarde, les hommes surtout, bizarrement. Les femmes, non, elles ne me voient pas, je suis encore trop jeune, si elles savaient ! Les copines, je n'ai pas de copines.

Les hommes me regardent avec une espèce d'admiration, puis de la crainte, puis du mépris, presque de la haine. Et moi aussi je les crains, je les hais, ces espèces de gros types, ces tas de viande sans cerveau, et qui ont l'air d'en être fiers, qui parlent fort et rient entre eux. Ce n'est pas une question d'age, ils sont tous pareils, et je vois autour de moi, elles se laissent faire, elles rient, elle rougissent, mais qu'est ce qu'elles leur trouvent ? Moi il n'y a rien à faire, ils me laissent de glace, quand je vois ce que ça devient après, me retrouver toute ma vie avec un gros corps qui épisodiquement s'agite sur moi en ahanant, en transpirant, puis s'effondre… Partout je vois de ces couples, bien installés dans la vie, soi disant. Tout dans l'apparence. Elle, depuis longtemps dans un bavardage incessant qui n'a plus rien à dire, se contente de torcher les enfants, d'assurer l'intendance, veiller à ce que toujours pour son seigneur toutes les difficultés soient aplanies. Pur lui, il n'y aurait pas beaucoup à gratter, une petite perturbation de la vie quotidienne montrerait vite sa nature profonde : une brute, une brute épaisse, avide de bagarres, de ripailles avec ceux de son clan, prêt à la guerre, impatient de protéger sa famille contre tout danger, réel ou imaginaire. Sa famille pourtant qui l'indiffère, qui le fait soupirer, qui l'agace, ces histoires de bonne femme, ces gosses bruyants et mal élevés.

Non, j'oubliais : dans ce cœur sans état d'âme, sans interrogation, il y a une place particulière pour la figure emblématique de la mère. Ah, la mère, avec ça on ne plaisante pas. Il suffit de sa présence, ou de l'évocation de son nom, pour que la brute plus ou moins policée par la société, plus ou moins robotisée par le travail, soit visitée par une espèce de grâce, ou du moins une certaine gravité. Mais que cela n'efface rien de la dureté de la vie, de la nécessaire rigidité qui doit présider à tous le rapports humains. La tendresse restera réservée à la mère, évidemment ni sa femme ni ses enfants n'en bénéficieront.

Ce qui d'ailleurs n'a pas d'importance. Elle, la tendre épouse, n'a eu que ce qu'elle mérite. Les enfants… Les enfants, je suis de leur coté, encore, on me le fait suffisamment sentir. Mais pour la plupart d'entre eux, ils s'accommodent fort bien de cette situation. Ils y trouvent leur compte. Ceux et celle qui en souffrent, qui se révoltent : ah, comme je les aime ! Je les reconnais, mes semblables, ils sont, ils seront la lie de la société, les délinquants, les drogués, les marginaux, les criminels !    

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